Edouard Cortès, parrain des Bourses 2025


Lauréat des Bourses de La Guilde il y a 25 ans, Edouard Cortès trempe depuis sa vie dans le bouillon de l’aventure et demeure attaché au récit et à la transmission. Parrain de l’édition 2025, il raconte sa vision de l’aventure.

Propos recueillis par Eric Carpentier

La première bourse ?

« J’ai reçu une bourse en 2000 pour la traversée du Caucase à pied, la Trans-Caucasie. Nous sommes partis avec deux copains, et nous avions l’ambition de marcher de Bakou à Sotchi. Mais nous avons été arrêtés aux trois quarts du voyage, côté russe, en Ossétie du Nord. Nous avons été emprisonnés pour soupçon d’espionnage et ensuite renvoyés en France. Nous avons fait 40 jours de voyage, dont 30 jours à pied et 10 jours de prison.

C’était un voyage merveilleux. Nous étions engagés à pied, avec un sac à dos ultra léger, une petite caméra et un appareil photo pour faire un reportage sur les ethnies et les peuples du Caucase. Nous avons traversé l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Russie et toute une mosaïque de peuples : le Daghestan, l’Ossétie du Sud, l’Ossétie du Nord, la Kabardino-Balkarie, l’Abkhazie, etc.

Ella Maillart disait qu’elle voyageait pour voir ce qu’il y avait de l’autre côté de la montagne. C’est ce que nous voulions faire au Caucase, voir ce qu’il y avait de l’autre côté du mont Elbrouz, le plus haut sommet d’Europe. Nous étions intéressés par le côté sportif, en suivant la ligne de crête des monts caucasiens, et par la zone géographique qui fait le trait d’union entre l’Europe et l’Asie.

L’aspect géopolitique et journalistique était important, car cette zone est en turbulence permanente. Elle fait le lien entre la mer Caspienne et la mer Noire, l’Europe et l’Asie, l’Orient et l’Occident. C’est le Caucase, à cheval entre deux mondes. Kipling parlait du « grand jeu » en Afghanistan, il y a aussi un grand jeu au Caucase, comme on le voit encore avec les événements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. C’est une zone de forte friction des empires.

La Guilde a été courageuse de nous soutenir dans ce projet audacieux. Nous partions dans des pays complexes, comme plus tard en Afghanistan. Ils auraient pu refuser d’y envoyer trois jeunes dans des zones turbulentes, mais ils nous ont fait confiance. Malgré la mésaventure de finir en prison, cela faisait partie de l’aventure et expliquait parfaitement la région. Aujourd’hui, mes voyages sont plus littéraires et poétiques, mais à l’époque, je voulais rapporter ce qui se passait, aller voir. »

Edouard Cortès en 2020. © Mathilde Cortès

La naissance de la flamme ?

« J’étais un gamin, j’avais 21 ans. Avant cela, je n’avais fait que des voyages en France. À 19 ans, j’ai marché jusqu’à Compostelle, ce qui a été mon voyage initiatique. C’était 40 jours de marche au long cours, environ 35 km par jour, avec un petit sac à dos. C’est là que j’ai commencé à faire des rencontres, à explorer et à vivre en bivouac.

J’avais déjà une certaine préparation à l’aventure grâce au scoutisme, qui m’a appris le sens du bivouac, la vie en forêt, les marches et l’exploration. Mais après mes 20 ans, j’ai voulu explorer des horizons plus vastes. J’avais envie de découvrir le monde, de voir ses merveilles, de collecter des visages, des rencontres, des paysages, comme un cueilleur de champignons. Cet appétit pour le monde ne s’est jamais arrêté. Une fois que tu contractes le virus de l’aventure, tu ne t’arrêtes plus.

En 2002, je suis parti avec un copain, Jean-Baptiste Flichy, en 2CV pour faire Paris-Kaboul. À mon retour, j’ai sonné au bureau de La Guilde et Patrick Edel m’a proposé un bureau et un salaire si j’organisais un Paris-Kaboul comme je venais de le faire. J’ai donc travaillé pour La Guilde pendant deux ans, relançant la collection “Carnets d’aventure” avec Chantal Edel, créant les “Cafés de l’aventure” avec Sylvain Tesson et Olivier Archambeau, et organisant l’expédition Paris-Kaboul avec Le Point et l’UNESCO. Nous avons emmené une équipe de scientifiques sur les routes de la soie et exploré l’Afghanistan par la piste du centre. »

Paris-Saïgon. © Edouard Cortès et Jean-Baptiste Flichy

Une définition de l’aventure ?

« L’aventure serait quelque chose comme une ligne de crête. C’est répondre à ce que la vie nous offre, saisir les opportunités. La plupart des gens ne saisissent pas l’aventure, non pas parce qu’ils n’en ont pas l’occasion, mais parce qu’ils ne savent pas comment la saisir.

Par exemple, si je n’avais pas été disponible pour devenir charpentier de Notre-Dame, j’aurais manqué cette aventure. L’aventure, c’est la rencontre entre ce que la vie nous offre et notre volonté de répondre à cette opportunité. C’est ce que fait La Guilde : elle nous dit de saisir l’aventure que la vie nous offre, d’être audacieux. Elle nous donne un coup de pouce.

Pour moi, il n’y a plus de parenthèse entre ma vie et l’aventure. La vie, c’est l’aventure, et l’aventure, c’est la vie. La base sédentaire n’est que le tremplin d’un futur voyage, d’une future exploration. Quand je pars à Notre-Dame de Paris, j’ai l’impression de partir à l’aventure. Cela fait deux ans que je fais un voyage sur les toits de Notre-Dame.

Si je n’arrive pas à faire de ma vie ordinaire une petite aventure, j’ai l’impression de manquer quelque chose. J’ai découvert dans le voyage et l’aventure quelque chose de très vivant : le mouvement, la rencontre, l’action nourrissent ma vie intérieure. Je pars dehors pour nourrir le dedans. »

Sur la Loire dans une pirogue monoxyle en 2021. © Luc-Henri Fage

La Bourse Histoire & Explorations ?

« Il y a une citation de Victor Hugo qui éclaire bien ce que je fais et ce que pourrait être cette bourse. Hugo a écrit : « Toute idée humaine ou divine qui prend le passé pour racine a pour feuillage l’avenir. » Cela montre que sans s’ancrer dans le passé, rien ne peut fleurir dans le futur. La Guilde, c’est le temps de l’action, le présent, mais il faut une inspiration, un moteur. En s’appuyant sur l’histoire, on sait qu’on a quelque chose de solide pour féconder l’avenir.

C’est aussi maintenir un feu allumé. Le veilleur qui se lève ranime le feu, prend un thé chaud et part en voyage. Cette bourse, c’est saisir ce qui a fonctionné dans le passé pour éclairer le présent et l’avenir. On pourrait utiliser l’allégorie de l’arbre : il a besoin de racines profondes dans le terreau des anciens, mais il a aussi besoin d’un tronc solide, qui est le présent, et de rameaux nouveaux, qui sont l’avenir. »

Par la force des arbres, édition des Equateurs, 2020

L’importance du partage ?

« Le partage fait partie de l’aventure. C’est un exercice qui, peut-être, par l’obligation de tenir un carnet de bord en voyage, te met la main à l’écriture. Par exemple, nous avions réalisé un film sur le Caucase, ce qui nous a appris à raconter une histoire. Cela t’oblige à réfléchir à comment inscrire ton aventure dans un contexte plus large, à ne pas en faire simplement une parenthèse, mais à l’intégrer dans une vie plus vaste, même si cette période d’aventure peut être une parenthèse dans ta vie quotidienne.

Il faut aller chercher ce qu’il y a de beau et d’essayer d’en faire jaillir quelque chose de nouveau. C’est ce que font les aventuriers de La Guilde : ils cherchent à conserver le feu du bivouac allumé. »

Sur la Loire dans une pirogue monoxyle en 2021. © Luc-Henri Fage

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